jeudi 8 octobre 2015

Nombreux rapports de la réforme bouddhique avec le catholicisme

Extraits de l’ouvrage Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie et le Thibet pendant les années 1844, 1845 et 1846.

par le Père Évariste HUC (1813-1860)

Chapitre 3 Le Thibet 

Nombreux rapports de la réforme bouddhique avec le catholicisme.  
pp 520-522

Pour peu qu’on examine les réformes et les innovations introduites par Tsong-Kaba dans le culte lamaïque, on ne peut s’empêcher d’être frappé de leur rapport avec le catholicisme. La crosse, la mitre, la dalmatique, la chape ou pluvial, que les grands lamas portent en voyage ou lorsqu’ils font quelque cérémonie hors du temple ; l’office à deux chœurs, la psalmodie, les exorcismes, l’encensoir à cinq chaînes, et pouvant s’ouvrir et se fermer à volonté ; les bénédictions données par les lamas en étendant la main droite sur la tête des fidèles ; le chapelet, le célibat ecclésiastique, les retraites spirituelles, le culte des saints, le jeûne, les processions, les litanies, l’eau bénite : voilà autant de rapports que les bouddhistes ont avec nous. Maintenant, peut-on dire que ces rapports sont d’origine chrétienne ? Nous le pensons ainsi ; quoique nous n’ayons trouvé ni dans les traditions ni dans les monuments du pays aucune preuve de cet emprunt, il est permis néanmoins d’établir des conjectures qui portent tous les caractères de la plus haute probabilité.
On sait qu’au XIVe siècle, du temps de la domination des empereurs mongols, il existait de fréquentes relations entre les Européens et les peuples de la haute Asie. Nous avons déjà parlé, dans la première partie de notre voyage, des ambassades célèbres que les conquérants tartares envoyèrent à Rome, en France et en Angleterre. Nul doute que ces barbares durent être frappés de la pompe et de l’éclat des cérémonies du culte catholique, et qu’ils en emportèrent dans leur désert des souvenirs ineffaçables. D’autre part, on sait aussi qu’à la même époque, des religieux de différents ordres entreprirent des courses lointaines, pour introduire le christianisme dans la Tartarie ; ils durent pénétrer en même temps dans le Thibet, chez les Si-fan et les Mongols de la mer Bleue. Jean de Montcorvin, archevêque de Pékin, avait déjà organisé un chœur, où de nombreux religieux mongols s’exerçaient tous les jours à la récitation des psaumes et aux cérémonies catholiques. Maintenant, si on fait attention que Tsong-Kaba vivait précisément à la même époque où la religion chrétienne s’introduisait dans l’Asie centrale, on ne sera pas étonné de trouver dans la réforme bouddhique des rapports aussi frappants avec le christianisme.

Et ne pourrait-on pas dire encore quelque chose de plus positif ? Cette légende de Tsong-Kaba, que nous avons recueillie sur le lieu même de sa naissance, et de la bouche de plusieurs lamas, ne pourrait-elle pas venir à l’appui de notre opinion ? Après avoir élagué tout le merveilleux qui a été ajouté à ce récit par l’imagination des lamas, on peut admettre que Tsong-Kaba fut un homme au-dessus du commun par son génie, et peut-être aussi par sa vertu ; qu’il fut instruit par un étranger venu de l’Occident ; qu’après la mort du maître, le disciple, se dirigeant vers l’ouest, s’arrêta dans le Thibet, où il propagea les enseignements qui lui avaient été donnés. Cet étranger à grand nez, n’était-ce pas un Européen, un de ces missionnaires catholiques qui à cette époque pénétrèrent en si grand nombre dans la haute Asie ? Il n’est pas étonnant que les traditions lamaïques aient conservé le souvenir de cette figure européenne, dont le type est si différent de celui des Asiatiques. Pendant notre séjour à Koumboum, nous avons entendu plus d’une fois les lamas faire des réflexions sur l’étrangeté de notre figure et dire, sans balancer, que nous étions du p.340 même pays que le maître de Tsong-Kaba. On peut supposer qu’une mort prématurée ne permit pas au missionnaire catholique de compléter l’enseignement religieux de son disciple qui, dans la suite, voulant lui-même devenir apôtre, soit qu’il n’eût pas une connaissance suffisante du dogme chrétien, soit qu’il eût apostasié ses croyances, ne s’appliqua qu’à introduire une nouvelle liturgie. La faible opposition qu’il rencontra dans sa réforme semblerait indiquer que déjà le progrès des idées chrétiennes dans ces contrées avait beaucoup ébranlé le culte de Bouddha. Nous aurons à examiner plus tard si les nombreux rapports que les bouddhistes ont avec les catholiques sont un obstacle ou un avantage pour la propagation de la foi dans la Tartarie et le Thibet.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire