samedi 7 février 2015

Le Panthéon Egyptien par Paul Pierret 1881 - extrait

Voici un livre que je trouve tout-à-fait digne d’intérêt. J’espère que les quelques extraits qui suivent vous donneront envie d’en savoir plus… Pour plus de commodité, j’ai juste regroupé les notes de bas de page originales à la fin de l’extrait sous forme d'image.


AVANT-PROPOS

Dans un Essai publié l'an dernier, j'ai ébauché une vue d'ensemble de la mythologie égyptienne que je reprends aujourd'hui pour en faire le canevas sur lequel vont se dessiner les nombreuses figures du Panthéon. J'y consigne les observations nouvelles que mes lectures m'ont suggérées et les textes dans lesquels j'ai trouvé la confirmation de ma manière de comprendre la religion égyptienne. En cette matière difficile, chaque auteur ne croit, d'ordinaire, qu'aux théories qu'il a émises ; c'est un penchant très naturel et rien n'est plus louable que la foi dans la thèse qu'on soutient; le mal serait de fermer l'oreille aux conjectures d'autrui et de les repousser à priori parce qu'elles ne concordent pas avec les nôtres. Je n'espère pas emporter d'assaut la conviction de mes savants confrères; je leur demande simplement d'apporter une attention soutenue à la lecture de ce volume que j'ai fait très court à dessein, sans référence aucune aux données de l'antiquité classique, qui ne s'appuie que sur les monuments et recevra d'eux sa consécration.

5 Septembre 1880.


Introduction

Bien que la croyance en Dieu ne soit pas à l’ordre du jour, nous sommes bien forcés de l'admettre historiquement lorsqu'elle se présente à nous. Toutefois si l’on a eu raison de dire que l'homme est un animal religieux, on doit reconnaître que le premier vol de sa pensée n'a pu l’élever à la conception d'un dieu abstrait. Perdu au milieu de la création, frappé de sa petitesse et de son impuissance, il adressa ses premières adorations au tonnerre dont le fracas l'épouvantait, aux vents qui le ballottaient sur la mer, à la mer elle-même, aux fleuves, aux montagnes, aux animaux qu'il ne pouvait dompter et dont il redoutait l'attaque, c'est ce qu'on appelle le naturalisme et le fétichisme, – au soleil, à la lune et aux constellations, – c'est le sabéisme. Les Égyptiens n'échappèrent pas plus que d'autres à ces superstitions de l'ignorance primitive : leur mythologie a gardé l'empreinte d'un sabéisme très accentué. Le soleil fut vénéré dans la vallée du Nil comme le dispensateur de la lumière et de la vie, comme le souverain de l’univers; puis, lorsque l’esprit se fut haussé à la notion abstraite de la divinité, on en vit le symbole dans l’astre du jour. Fétichisme, polythéisme, monothéisme, telles sont les trois étapes de la pensée religieuse.

Malheureusement, les Égyptiens semblent s'être fait une loi de nous dérober leurs premiers tâtonnements en toutes choses, et leurs monuments les plus anciens nous les montrent déjà parvenus à l'idée monothéiste, en même temps qu'on les y voit en possession d'une civilisation en plein épanouissement, avec une langue complètement formée. Ils sont monothéistes sous une apparence polythéiste. C'est ce qu'ont reconnu mes devanciers les plus autorisés. Champollion-Figeac, interprétant les idées de son frère, écrivait dans son Egypte ancienne (p. 245) : « Quelques mots peuvent suffire pour donner une idée vraie et complète de la religion égyptienne : c'était un monothéisme pur, se manifestant extérieurement par un polythéisme symbolique. »  –
« La religion égyptienne, a dit Emmanuel de Rougé 1 comprend une quantité de cultes locaux. L'Egypte que Menés réunit tout entière sous son sceptre, était divisée en nomes ayant chacun une ville capitale; chacune de ces régions avait son dieu principal désigné par un nom spécial; mais c'est toujours la même doctrine qui revient sous des noms différents. Une idée y domine : celle d'un dieu un et primordial; c'est toujours et partout une substance qui existe par elle-même et un dieu inaccessible. »
D'après M. Chabas 2, « le dieu unique, existant avant toutes choses, celui qui représente l'idée pure et abstraite de la divinité, n'est pas nettement spécialisé par un personnage unique du vaste panthéon égyptien. Ni Ptah, ni Seb, ni Thot, ni Ra, ni Osiris, ni aucun autre dieu ne le personnifie constamment; cependant, les uns et les autres sont parfois invoqués dans des termes qui les assimilent intimement au type suprême ; les innombrables dieux de l'Egypte ne sont que des attributs ou des aspects différents de ce type unique. »
Selon M. Maspero 3, « les noms variés, les formes innombrables que le vulgaire est tenté d'attribuer à autant d'êtres distincts et indépendants, n'étaient pour l'adorateur éclairé que des noms et des formes d'un même être. Tous les types divins se pénétraient réciproquement et s'absorbaient dans le Dieu suprême. Leur division, même poussée à l'infini, ne rompait en aucune manière l'unité de la substance divine; on pouvait multiplier à volonté les noms et les formes de Dieu, on ne multipliait jamais Dieu. »
Les textes nous montrent en effet que les Égyptiens croyaient à un Dieu unique, sans second, infini, éternel. Cependant, au moment même si les scribes traçaient sur le papyrus ou gravaient sur la pierre les inscriptions qui affirmaient cette croyance et qui sont entre nos mains, des artistes sculptaient des dieux à tête d'épervier, de bélier ou de crocodile; des déesses à tête de lionne, de chatte ou de vache; est-il raisonnable d'en conclure, contrairement à ce que l'histoire nous a appris sur les phases de l'évolution religieuse, que le monothéisme régnait dans un même pays concurremment avec le fétichisme, que le même peuple qui comprenait la divinité comme inaccessible, invisible, cachant son nom et sa forme, adorait des éperviers, des béliers, des crocodiles, des lionnes, des chattes et des vaches? Et remarquez que ce ne sont pas seulement des animaux qu'il aurait adorés, mais des êtres monstrueux, fantastiques, impossibles, des hommes à tête d'oiseau ou de quadrupède, à corps de scarabée, des serpents à jambes humaines, etc. C'est inadmissible. Il faut voir dans ces figures étranges de véritables groupes hiéroglyphiques, des idéogrammes, des symboles : c'est ainsi que dans la figure composite ci-dessous, reproduite d'après un fragment de toile peinte du Louvre  4 on a accumulé sur un seul personnage divin la plupart des signes représentatifs du Symbolisme solaire, sans avoir eu l'intention d'en faire un Dieu spécial et caractérisé.



Le dieu-soleil est représenté par un épervier ou par un homme à tête d'épervier, parce que la course de l'astre dans le ciel était comparée au vol de cet oiseau; la déesse mère allaitant le dieu fils porte une tête de vache parce que la tête de vache explique sa fonction de nourrice, etc. Ces animaux, employés comme symboles, sont devenus sacrés par ce seul fait qu'ils ont eu l'honneur de servir de vêtement à la pensée religieuse. Il a dû sans doute en résulter que le vulgaire ignorant, ne voyant rien au delà de l'idole qu'on lui mettait sous les yeux, fut maintenu par le despotisme des prêtres dans un abject fétichisme, mais les initiés ne reconnaissaient qu'un dieu unique et caché qui a créé le monde, qui en maintient l'harmonie par la course quotidienne du soleil, et qui est la source du Bien. Les divers personnages du panthéon matérialisent les rôles divers, les fonctions de ce dieu abstrait qui conserve dans chacune de ces formes, si nombreuses et si infimes qu'elles soient, son identité et la plénitude de ses attributs. 5


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